L'adoubement de François Ier par Bayard

Voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre, tant à certains il paraît inouï : un roi de France adoubé par un hobereau ! On va tenter de relater le contentieux et d'y ajouter notre point de vue en essayant peut-être de dédramatiser la question.

Les textes
Jean d'Auton : rien à ce sujet dans ses Chroniques, mais il est vrai qu'elles sont peu détaillées après la mort de Louis XII.

Guichardin, bien que relatant longuement la bataille de Marignan et ses suites, ne parle pas de l'adoubement. Cela peut s'expliquer si aucun écho de cette manifestation n'est parvenu dans le camp adverse.

Champier est le premier à en parler, ce qu'il fait en ces termes :
Au camp de saint Don1, pres la ville de Millan, sejourna le roy aucuns [quelques] jours. Si voulut faire & creer les chevaliers qui lui avoient servi en ceste bataille & pource qu'il appartient par l'ordre de chevalerie, au seul chevalier creer un & faire un autre chevalier, appella bayard & lui dist : Bayard, mon amy, ie veux qu'aujourd'huy soy fait chevalier par vos mains pourece que le chevalier qui a combattu à pied & à cheval en plusieurs batailles entre toutes les autres est tenu & reputé le plus vaillant & digne chevalier. Or est ainsi de vous qui avez vertueusement, en plusieurs royaumes & provinces en plusieurs batailles & conquestes, combattu contre plusieurs nations, comme Espagnols au royaume de Naples, en Italie, à Bresse [Brescia], à Pandin, à Ravanne, je délaisse la France en laquelle on vous cognait assez. Aux parolles du roy respond Bayard : Sire, celuy qui est couronné, sacré & oingt de l'huile envoyé du ciel & est roi d'un si noble royaume, le premier fils de l'Eglise qui est chevalier sur tous autres chevaliers doit estre fait chevalier par moy. Bayard, dist le roi, depeschez vous, il ne faut ici alleguer loix et canons [règlements], faites moi vouloir si voulez estre du nombre de mes bons serviteurs. Sire, dit Bayard, si ce n'est assez d'une fois, puis qu'il vous plaist je le feray sans nombre pour accomplir vostre vouloir ..."
Lui-même, Champier, a été fait chevalier, parmi beaucoup d'autres :
... à Saint-Don, là où Mgr de Lorraine donna l'ordre de chevalerie à la plupart de ses gentilhommes et, en lui souvenant que [je] lui avais dédié un livre nommé l'ordre de la chevalerie, voulut à moi indigne donner le premier ledit ordre.

Aymar du Rivail . Il écrit, après la relation de la bataille de Marignan : Finito conflictu, rex a Bayardo fieri miles voluit ; apud Gallos enim et alias nationes hodie usurpatur, ut se in bello praeclare gerens in signum virtutis miles efficiatur. Et talis est modus efficiendi milites, ut nudo ense ter percutiatur supra humeros qui militarem dignitatem suscipit ; et ter militem creans profert : Aio te militem. Et miles militem creat ; [...] Et Franciscum regem Bayardus militem fecit.
[Le conflit terminé, c'est par Bayard que le roi voulut être fait chevalier ; chez les Gaulois bien sûr et chez d'autres nations aujourd'hui, il est d'usage que soit fait chevalier celui qui se conduit en guerre remarquablement et sous le signe de la vertu. Telle est la façon de créer les chevaliers : frapper trois fois de l'épée nue sur les épaules de celui qui reçoit cette dignité. Et par trois fois, l'exécutant lance : je te proclame chevalier. Le chevalier crée le chevalier [...]. Ainsi, le roi François fut par Bayard fait chevalier].

Fleuranges, au soir de Marignan, est adoubé par le roi qui lui annonce que lui-même vient d'être adoubé, sans qu'il lui dise par qui :
Et lui dit [à Fleuranges] le seigneur roy : Je sens bien que en quelque bataille que vous ayez esté, ne voulustes estre chevalier ; je l'ai aujourd'bui esté ; je vous prie que le veuillez estre de ma main. laquelle chose l'Advantureux [c'est le nom que se donne Fleuranges] lui accorda de bon cœur, et le remercia de l'honneur qu'il lui faisoit, comme la raison le vouloit.

Du Bellay : le roi menait la bataille, accompagné du duc de Lorraine, du duc [...] du capitaine Bayart, auquel le roy fist cet honneur de vouloir recevoir de sa main l'ordre de chevalerie le jour de la bataille, et de plusieurs autres capitaines de gendarmerie ...

Louise de Savoie, dans son Journal, ne dit pas un mot de l'adoubement.

Contestation
Plusieurs historiens – et non des moindres – contestent la véracité de cet adoubement et avancent qu'il a été inventé de toutes pièces par Louise de Savoie et qu'elle aurait incité Champier à écrire son livre sur Bayard dès la défaite de Pavie (février 1525) pour célébrer un héros français et faire ainsi oublier cette cuisante défaite et la capture du roi. Champier pouvait en effet avoir des contacts avec Louise de Savoie, puisque son frère Symphorien était probablement le médecin personnel de la régente.

Les historiens contestataires, connaissant le lourd rituel de l'adoubement et son caractère religieux, ne peuvent admettre qu'un simple capitaine, de surcroît de petite noblesse, puisse adouber aussi simplement un roi, alors que sont présents de nombreux grands de France, dont le connétable, chef des armées. De plus, les rois étaient adoubés pendant leur sacre et, en principe, par le plus grand des ducs du royaume. François Ier était donc déjà chevalier.

 

Commentaire
Il est certain que donner comme preuve de l'adoubement le seul récit du Loyal serviteur affaiblit considérablement l'argumentation en faveur de cette cérémonie. De même, – comme on l'a constaté parfois – la mise en avant d'écrits très postérieurs à 1515 a très peu de poids, le récit plaisant du Loyal serviteur ayant atteint rapidement toutes les provinces, comme le prouve la tenture américaine (on devrait l'appeler poitevine) et pollué le jugement général.

Il convient de remarquer cependant qu'une collusion entre Champier et Louise de Savoie est fort peu probable. D'une part, Champier est un auteur estimé, reconnu même par les universités étrangères (dont celle de Padoue) et par deux fois élu échevin de Lyon ; dans sa préface, il ne fait pas référence à la régente, mais il reconnaît avoir cédé aux pressions de l'évêque – son parent – et du président du parlement du Dauphiné. D'autre part, Louise ne mentionne pas cet adoubement dans son Journal, événement, sans doute pour elle, de peu d'importance. Enfin, nous ne connaissons pas d'avantages particuliers dont aurait bénéficié Champier de la part du pouvoir pour prix de son mensonge. Comment ce notable aurait-il pu accepter un tel marché et compromettre sa réputation ?

Plus sérieux est le fait qu'on trouve au moins 4 auteurs relatant l'événement et ceci de manière presque semblable, sans qu'on puisse détecter de dépendance entre eux (sauf entre Champier et Mailles). On peut bien admettre la réalité de cet adoubement. Mais on apprend qu'au même moment, deux de ces chroniqueurs ont été également armés chevaliers, sans avoir fait preuve d'une conduite exceptionnelle ... Et combien d'autres, qui n'étaient pas écrivains, ont-ils ainsi été traités ? On peut parler ce jour-là d'une frénésie d'adoubements et ceci, sans le rituel qui en faisait une cérémonie sacrée, précédée d'un long jeune et d'une nuit entière passée en prière ...! Peut-on aller jusqu'à parler de farce ou de franche rigolade dans l'euphorie de la victoire ? Il ne faut pas non plus oublier que 4 ans plus tard, Bayard adoubera un bébé, le rejeton de son ami le duc de Bourbon ! Non, à cette époque, l'adoubement n'est plus ce qu'il était. Le moyen-âge est déjà bien loin et on comprend mieux ce déchaînement d'adoubements quand on lui ôte son caractère sacré.


Notes
1. San Donato : c'est là en réalité que s'est déroulée la bataille de Marignan.      Retour 

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