1515
1515. Une date facile à retenir et que tous les écoliers de France connaissent par cœur. Cette première année du règne de François Ier sera marquée par une grande victoire militaire, mais ce sera la dernière victoire française du 16e siècle en Italie. De cette expédition guerrière, on retiendra trois épisodes :Pour Bayard, notre héros, c'est une année cruciale. Juste après le sacre du nouveau roi, Bayard est nommé lieutenant général du Dauphiné. C'est un honneur considérable pour un noble de petite extraction. Mais c'est aussi une charge, un poste à responsabilité dont on sait qu'il s'en acquitera fort bien. Entre le roi et lui, il ne subsiste plus qu'un échelon, celui du gouverneur du Dauphiné, toujours attribué à un noble de très haut rang, mais qui se souciait fort peu de sa fonction. Certes, après sa nomination, le gouverneur fait une entrée solennelle dans sa capitale ; il y a échange de cadeaux – en général du plus pauvre au plus riche, il en est ainsi à l'époque – puis le grand seigneur délaisse sa province, laissant toute son administration aux bons soins du lieutenant général.
Rappelons que le premier gouverneur de Bayard sera Louis de Dunois (III), duc de Longueville, nommé lui aussi en janvier 1515. Après sa mort subite en 1516, ce sera Athus Gouffier pendant 3 ans et enfin son frère Guillaume, l'amiral Bonnivet. Le premier de ces gouverneurs est, pour nous, peut-être lié à la tapisserie du château Bayard et les deux autres à la tenture américaine.
Les Impériaux (Autrichiens, Espagnols et quelques alliés suisses ou italiens dont le pape) s'attendaient à une incursion de François Ier en Italie. Aussi, firent-ils garder les cols alpins par des mercenaires suisses, depuis le Mont-Cenis jusqu'au col Agnel. Tous les chroniqueurs rapportent cette mesure de précaution. Ne désirant pas affronter ces troupes, François Ier avait demandé à ses capitaines de lui trouver une route non gardée ; ils ont choisi celle du col de Larche (col de la Madeleine pour les Italiens), très probablement via Grenoble, Embrun, Guillestre et Vars.
Les principaux capitaines, arrivés en Queyras bien avant le gros de l'armée, imaginèrent un coup de main pour déstabiliser l'armée des Impériaux. Cette décision fut prise peut-être en dehors du roi. C'est donc une petite troupe d'environ 400 cavaliers qui décident de passer en Italie et d'y créer un effet de surprise. Les chroniqueurs disent que ce détachement a suivi un itinéraire par où nulle armée jusqu'ici n'était passée et que, pour se guider, ils ont utilisé les services d'un ami italien. Cette troupe, apparemment très mobile, donc à cheval, après avoir rejoint la plaine du Pô près de Saluces, est partie à la recherche de Prosper Colonna, le commandant des troupes du pape. Toujours sous la conduite de son guide, elle est allée d'abord à Carmagnole, puis a traversé le Pô et serait entrée par surprise dans Villafranca pendant le repas de Colonna qui sera capturé presque sans résistance, ainsi que bon nombre de ses capitaines. Ce coup de main audacieux a obtenu le résultat escompté : les troupes adverses ont été destabilisées, les Suisses ont lâché la garde des cols et sont repliés à Milan.
Le gros de l'armée est passée par le col de Larche – itinéraire inhabituel pour aller à Milan – et ses pionniers (entendez : ses sapeurs du génie) ont dû déployer des efforts gigantesques pour élargir la route. Or ce col est très ouvert ; il faut chercher ailleurs l'endroit où l'itinéraire était très rétréci, car les chroniqueurs sont concordants1. Par contre, ils divergent sur l'itinéraire de la grosse artillerie qui, selon certains, aurait emprunté le col du Montgenèvre après la fuite des Suisses. Dans certains écrits, l'expression chemin par lequel nulle troupe n'était jamais passée est appliquée (peut-être avec raison) à la route du col de Larche.
On peut dire qu'il y a eu, chez les chroniqueurs, beaucoup de confusion entre ces deux itinéraires. Si le chemin emprunté par François Ier est assez bien identifié, il n'en est pas de même de celui des précurseurs. Les récits parlent d'un point de passage remarquable, la Roche des éperviers ou Rocca sparvierra. Or, la route du col de Larche passe effectivement par une petite ville de ce nom, pourvue d'un château, mais elle n'a rien qui puisse frapper les esprits et justifier une mention dans la plupart des relations.
Revenons sur la garde des cols par les Suisses. Pour songer à arrêter une armée française de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, il fallait leur en opposer au moins quelques milliers. Il est peu vraisemblable que ces troupes aient campé aux cols eux-mêmes, sans ressources alimentaires, ventés, inhospitaliers et difficiles à ravitailler. Or, sur la route de chaque col, on trouvait des villes fortifiées : dans notre cas, Oulx, Exilles, Suse, Pignerolles, Revello, Château-Dauphin ... C'est derrière leur remparts, correctement nourris et abrités, que nos Suisses pouvaient attendre les Français durant de longues semaines.
L'itinéraire des précurseurs est très mal identifié. Certaines personnes lui font traverser la crête par le tunnel de la Traversette, ce qui est peu vraisembable, déjà à cause de l'exiguïté du passage2 et surtout parce qu'il débouche obligatoirement sur la place forte de Revello, au beau milieu du dispositif des Suisses. Pour Aymar du Rivail, une troupe a franchi la crête au col Agnel, sans qu'il précise si c'est celle des précurseurs. C'est pourtant bien possible, surtout si l'on adopte notre point de vue, selon lequel les Suisses ne campent pas au col lui-même, mais dans la ville fortifiée la plus proche. Une fois le col Agnel franchi sans encombre, cette troupe ne pouvait pas emprunter la vallée de la Varaïta qui s'ouvrait devant elle, parce que la place forte de Château-Dauphin interdisait ce passage.
La troupe a donc été obligée de franchir le massif montagneux situé entre cette vallée et celle de la Maïra, plus au sud, voire jusqu'à celle de la Stura, encore plus loin. Et, pour ce faire, il fallait emprunter de petits sentiers de montagne, connus des seuls bergers et donc utiliser les services d'un guide. Cet itinéraire est difficile, mais praticable aux chevaux3. C'est bien lui qu'on peut qualifier de chemin par où nulle armée n'était jamais passée. Ensuite, la troupe a dû descendre la vallée de la Maïra que les Suisses ne gardaient sans doute pas parce qu'elle n'aboutit qu'à des cols impraticables et débouchant en Ubaye, c'est à dire à l'époque en territoire savoisien.
Il y a un autre détail, très important : cet itinéraire montagnard passe par Belino et, peu avant cette petite ville, on trouve un étrange rocher, le Buch des Sparviers4, qui, bien isolé et avec 200 mètres de hauteur, est tout à fait propre à frapper les esprits. Nous pensons qu'il y a eu confusion entre ce rocher tout à fait singulier, vu seulement par l'échelon précurseur, et la petite ville de Rocca Sparvera, près de Cuneo, traversée, elle, par toute l'armée. Cette hpothèse est d'autant plus crédible qu'aucun chroniqueur n'a probablement fait partie de l'échelon de tête.
(Site Reillanne-en-Lubéron/Jumelage/Roccasparvera) | ||
Le Buch des Sparviers, près de Bellino. (Photo JBR, site VttTour.fr, topo guide 408) |
Que disent les chroniqueurs de cette expédition ?
Malgré ces récits divergents, il semble que le détachement précurseur était commandé par Chabanes (maréchal de France), mais que ce dernier faisait beaucoup confiance au dauphinois Bayard, fraîchement nommé lieutenant général et mieux à même d'obtenir des informations locales. Cette troupe est passée par le col Agnel, puis a rejoint la vallée de la Maïra à travers deux massifs montagneux en passant près de Bellino et du Buch des Sparviers. L'insistance sur le rôle des guides prouve bien que la petite troupe est passée hors des sentiers battus et donc pas le long d'une vallée.
Le roi, parti de Guillestre, a franchi le col de Vars et ce serait la route située entre Vars et St-Paul-sur-Ubaye, taillée à flanc de pente, qui a dû être élargie à grand'peine et sécurisée par les sapeurs. Jusque là, ce n'était sans doute qu'une piste muletière. L'artillerie lourde a dû passer, elle, par le Montgenèvre, puis par Suse, après le retrait des Suisses. Du premier itinéraire, on pouvait dire : par où jamais gens de cheval n'étaient passés ; et du second : par où jamais armée n'était passée.